En matière de sexualité criminelle la récidive est invulnérable
La sauvegarde de la sécurité publique est une responsabilité politique dont les gouvernants s’acquittent en légiférant. Mais nul n’ignore la force des pressions qu’exerce l’opinion publique sur le législateur : cette allégeance à l’évolution des mentalités est devenue incontournable depuis que les médias donnent la parole à la « rue citoyenne ». Le propos n’est pas ici de soulever une polémique sur le bien fondé ou non de cette démocratisation de l’information, mais de mettre en exergue ses conséquences sur le climat… d’insécurité qui met en rogne les institutions.
Trop d’émotions taquinent les Ministres. En urgence, l’Etat n’a donc pas d’autre recours que l’annonce d’un mécanisme d’escalade des punitions. Or, les constats réitérés de déconvenue des protocoles de suivi socio-psychologique des auteurs de violence à caractère sexuel ne seront pas démentis par les injonctions de la loi du 10 août dernier. Lorsqu’elle est réalisée sans hypocrisie, leur évaluation est sujette à caution.
L’espoir d’élaborer une alternative éthiquement correcte à l’incarcération est-il condamné à perpétuité ?
Depuis l’adoption de la loi Guigou du 17 juin 1998 la France s’engage sur la voie étroite de la médicalisation des infractions sexuelles. Réunis en commission au Ministère de la Santé fin 1997 nous avons été plusieurs à prédire que le chemin qui reliait les intentions humanistes à leur application tangible serait semé d’embûches. Renforcées, généralisées, les « obligations de soins » soulèvent toujours trois types de difficultés que tous les acteurs de la chaîne médico-judiciaire n’ont de cesse de signaler. Les premières sont d’ordre structurel.
En exigeant des prisons de pourvoir à des missions qui ne sont pas les leurs a priori, le législateur porte un défi au système pénitentiaire en termes de moyens matériels et d’effectifs. Les prévisions officielles énoncées par décret misent sur le suivi de 1500 détenus par an… alors qu’au 1° janvier 2007, 8258 personnes sont incarcérées pour crimes et délits sexuels. Après la remise en liberté, face au venin de la récidive, les antidotes sont encore plus mal lotis : à la pénurie de médecins coordinateurs et de médecins traitants, s’ajoute l’ambiguïté de leur statut vis-à-vis des magistrats, à propos notamment de la question cruciale du secret professionnel…
La communauté psychiatrique, pièce maîtresse du système, peine à manifester son consensus, pourtant nécessaire au succès d’une authentique volonté des politiques d’assumer leurs responsabilités. Le deuxième écueil est lié aux effets délétères d’une représentation manichéenne du « pervers », opposant les partisans d’un strict traitement judiciaire aux tenants d’une réplique clinique. Ce type de conflit territorial n’est pas spécial à ce domaine de défense sociale, il est actif aussi par exemple dans les débats qui embrouillent la prise en charge des toxicomanes…
L’option médicale est hypothéquée par deux maux irréductibles portant sur les aspects épidémiologiques et déontologiques de sa mise en œuvre. Même si l’on considère en effet comme un progrès qu’à l’ancien slogan « punir ou soigner » succède un dispositif qui s’intitule « punir en soignant », il y a un hic : l’incurabilité et le libre arbitre du condamné et/ou de l’ancien détenu.
Placée sous les auspices de la Direction Générale de la Santé une étude réalisée entre 1993 et 1996, dirigée par le docteur Claude Balier, conclue qu’au moins 15% des agresseurs sexuels doivent être exclus de toute procédure de relation de soins : leurs « défaillances de mentalisation », d’autocensure de leurs pulsions, leur « folie », étant d’ordre purement psychiatrique, ils ne relèvent plus de l’autorité pénitentiaire. Pour les autres, prévoir d’instaurer un protocole de suivi curatif n’est plausible, comme le rappelle avec force le docteur Evry Archer, président de l’Association des psychiatres exerçant en prison, qu’avec « leur consentement aux soins, préalable absolu à toute relation thérapeutique ».
Les mises en demeure de traitements invalidants à l’encontre de sujets en bonne santé sont par conséquent anticonstitutionnelles.
Mais de quoi parlons-nous ? De criminalité, de violence, d’instinct « premier » certes, mais aussi… d’érotisme et de sentiments, même s’ils ont trahi leur « humanitude » ! L’actualité récente l’atteste avec cynisme : l’émoi que suscite dans l’opinion la prescription d’un aphrodisiaque en milieu carcéral signale en réalité l’impréparation des professionnels à aborder la sexualité. Le Viagra, un « ascenseur pour l’échafaud » ? Tout au plus un acompte sur le prix du plaisir… La troisième faille du système est d’ordre académique et non plus structurel ou idéologique, elle peut donc être comblée et bouleverser la donne actuelle. Combien de temps encore faudra-t-il tolérer que le savoir sexologique des psychiatres et des psychologues demeure aussi insignifiant.
La formation postuniversitaire en sexologie est indispensable. Par défaut d’ouverture sur les sciences du comportement sexuel les expertises sont appauvries. En faisant l’impasse sur le thème tabou de la jouissance les évaluations pronostiques sont miniaturisées. Or, il s’agit bien là du rouage central du processus criminogène. Qu’il soit convoité, fantasmé, récusé, invincible, ou apaisant, l’orgasme est l’horizon du passage à l’acte. La fonction érotique est démesurée chez tout auteur de sexualité illicite. Hors normes ne signifie pas hors-jeu social et relationnel : le portrait-robot du pervers est un leurre. La représentation minimaliste de la sexualité humaine s’est considérablement aggravée depuis 1998 avec l’intrusion de l’industrie pharmaceutique dans le champ de l’intimité : nous devons à la simplification mercantile de ses messages publicitaires la vulgarisation d’un concept de « santé sexuelle » qui nie la question du plaisir et de ses valeurs. Dans un but opposé, sans étayage sexologique, sans renfort thérapeutique pluridisciplinaire, les injonctions de castration médicamenteuse ne peuvent avoir la portée qu’on leur assigne, mais risquent de n’être qu’une réplique répressive d’un même mode de pensée vétérinaire de la sexualité humaine.