L’histoire des « perversions sexuelles » colle à l’évolution des mœurs évidemment, mais aussi aux progrès d’ordre techniques assurant le confort de nos sociétés « avancées ». S’agissant de la prime enfance l’amélioration des pratiques d’élevage est inouïe, avec pour conséquence de considérer le nourrisson comme une « personne » à part entière : en moins d’un siècle la mortalité infantile s’est considérablement améliorée. Les mesures d’hygiène pédiatrique se sont adaptées à une plus juste compréhension des besoins et de la sécurité du bébé : fini notamment l’enveloppement de bandelettes, façon momie égyptienne. La commercialisation notamment des changes jetables a abolit les corvées de lessive de mères de famille « libérées » … afin de s’empêtrer dans les embouteillages et de confier aux aides puéricultrices les devoirs de biberons et l’apprentissage de la propreté.
Oui, le bébé est une idole moderne parce qu’il est « totémisé » par une société qui l’adore et, simultanément, le redoute puisqu’il menace, notamment aujourd’hui, le parcours professionnel féminin. Cette ambivalence était inopérante en sexologie jusqu’à présent, et l’érotisation de l’enfance se bornait soit à l’inceste, soit à des formes de déviances scatologiques par exemple. Le nourrisson n’existait pas socialement, il n’était donc pas pornographiable et les sexologues du début du siècle, si prolixes pourtant en anecdotes originales, l’ont ignoré. Inutile d’être fin psychologue pour comprendre que ce sont les garçons qui vont manifester, plus que les filles, leur besoin de simulation du maternage. Jouer au bébé, en soignant le décor et les costumes, relève le plus souvent du traitement désespéré d’une carence affective pathogène datant des 18 premiers mois de l’existence. Aucun lien ne peut être établi selon moi entre cette stratégie de rattrapage du façonnage de l’être soi, et le développement ultérieur de la fonction érotique adulte. Il n’y a pas ici de quête tarabiscotée de transgression pour parvenir à jouir, il n’y a même pas de réel besoin d’orgasme, ni d’attrait pour la soumission de type masochiste : ce qui est en jeu dans ce psychodrame, c’est la réparation, le rafistolage symbolique d’une perte de mémoire de l’éveil sensoriel et émotionnel primordial.
La rencontre avec la nourrice de remplacement est donc le point d’achoppement du projet mais, « d’instinct », un érotisme féminin de haut grade peut installer provisoirement la mise en scène convoitée : déguisements, grimaces, vocalisations, câlineries et réprimandes vont étayer la séquence cruciale du change. La couche devient un avatar maternel, fusionnel, aphrodisiaque, prétexte d’un dialogue charnel régressif, donc fondateur de l’identité du sujet.
L’emblème de ce véritable travail d’éveil, c’est la laine. En effet il n’y aura pas de simulacre convenable sans les langes, le déshabillage, les fesses à nu. C’est autour des langes et de la layette que se noue la relation de substitution avec la maman fétiche. Tous les comportements d’assistance affective (bercement, lavage, gronderies…) s’organisent donc autour du rôle-clé que tiennent les étoffes, les compresses, les cotons, qui recueillent et nettoient les aveux les plus « criants » de l’insolence docile du pseudo nourrisson : ses urines et parfois, ses fèces.
Je propose d’appeler cette thématique fétichiste d’assistance maternelle pastiche : la « lanéphilie », postulant, a priori, qu’il s’agit plus ici d’un rétropédalage narcissique transitoire, que d’une addiction érogène incurable. Ainsi, dès 1170 retrouve-t-on dans le langage populaire le mot lange comme dérivé direct du latin laneus, laine, sachant que pendant des siècles les nourrissons sont précautionneusement emmaillotés dans du « pur laine ». Les changes synthétiques jetables n’ont tari ni le savoir-faire des mères, ni la jubilation rieuse des bébés, vrais ou factices.