Faut-il soigner l’éjaculation prématurée ?

Clinique, Sexologies

Le temps bref d’un vacillement, je perds ma structure d’amoureux :
c’est un deuil factice, sans travail : quelque chose comme un non-lieu.

Roland Barthes – Fragments d’un discours amoureux

La brièveté de la phase coïtale du « rapport sexuel » mécontente énormément de monde, au point d’en faire actuellement l’une des principales récriminations sexologiques. Freiner la précipitation de l’éjaculation est néanmoins un processus aléatoire qu’aucun mécanisme physiologique ne légitime. Il ne s’agit donc pas d’un symptôme morbide justifiant une thérapeutique, mais de maladresses, de lacunes dans l’apprentissage de la fonction érotique. Si la notion d’insatisfaction est la clé de cette plainte fonctionnelle, sa nature purement subjective contrarie toute démarche d’accompagnement un tant soit peu standardisée. En toile de fonds en effet, ce n’est pas le chronomètre qui étalonne l’exaspération, mais l’échec de l’équité de la relation à l’autre, le fiasco du projet amoureux. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que les démarches curatives préconisées aujourd’hui réparent une telle falsification des émotions sexuelles en se bornant à allonger la durée du coït : une information sexuelle dédramatisante doit prendre le pas sur une médicalisation systématique.

Historique

En 1920 déjà, Wilhelm Steckel, un des fondateurs de la Sexologie occidentale moderne, déplore à propos de l’éjaculatio praecox, que l’on soit si peu à même d’en donner une définition convenable, et de la soigner.

Il faut attendre la fin du XIX° siècle pour que l’aspect chronologique de l’orgasme masculin soit pris en compte par les cliniciens européens. Il est intéressant de noter en revanche que la tradition médicale et érotologique arabe n’a jamais écarté de son champ d’investigations et d’enseignement, l’apprentissage d’un contrôle des réflexes orgastiques. Ibn Falita, écrivain de la première moitié du XIV° siècle par exemple, dénonce « les faiblesses » masculines qui privent la partenaire d’un juste partage du plaisir vénérien et « l’éjaculation précoce » le dispute ici à « l’acte réservé » (le trop fameux retrait à l’occidentale). Or la codification du discours savant sur la sexualité qui débute dans le Moyen Age chrétien du XI° siècle ne conserve pas la dimension érotologique de la gnose arabe – le De coïtu de Constantin l’Africain (qui dérive d’une oeuvre d’Ibn Al-Jazzar) représente le premier ouvrage de « sexologie » médiévale, et l’atteste. – Il fonde une scientia sexualis que nous dirions aujourd’hui d’inspiration exclusivement andrologique. La littérature profane, quant à elle, témoigne d’une robuste santé et d’une grivoiserie qui ne laissent aucune place aux raffinements d’un Art érotique tournée vers les femmes. Il n’y a pas de tabou du sperme comme il y a un tabou du sang menstruel, mais la conjonction des préceptes chrétiens et des courants philosophiques débouche sur une dramatisation de l’éjaculation en tant qu’analyseur de la concupiscence, comme l’écrit Michel Foucault. Bref, cinq siècles durant, ce sont les « pollutions spermatiques » qui préoccupent le clerc et le médecin, pas du tout la durée du coït.

Le travail de M. Lallemand, publié à Paris entre1839 et 1942, intitulé les pertes séminales involontaires, est l’étude la plus complète et… la plus extravagante de la « gonorrhée » comme les désignait Galien. Ces émissions spermatiques sont jugées si nocives qu’on leur attribue un pouvoir pathogénique sur la totalité des fonctions vitales. Le militantisme anti-masturbatoire s’annonce alors particulièrement draconien : la bannière de Samuel Auguste David Tissot (L’onanisme, publié le 13 mai 1768) guide toute la pensée sexologique du XIX° siècle jusqu’à la guerre de 1914.

La notion d’éjaculation prématurée se détache de la nomenclature psychiatrique et organiciste dès 1916 avec le psychanalyste Karl Abraham (1877-1925). L’idée d’un « trop » d’érotisme urétral, témoin d’un « trop peu » de virilité, est révolutionnaire. Sans qu’il prononce le terme, Abraham s’applique à montrer que l’éjaculation précoce offre les mêmes gratifications narcissiques de l’énurésie, et implique les mêmes mécanismes d’agressivité et de mépris. L’éjaculateur ante portas n’est-il pas récompensé de « souiller sa partenaire » ? Une telle « maladresse » ne signe-t-elle pas la nocivité de l’angoisse de castration ? Le débat est ouvert. L’emprise de la psychanalyse dans l’interprétation des dysfonctions sexuelles va désormais prendre en tutelle la pratique sexothérapique. Wilhelm Stekel enrage de devoir passer sous les fourches caudines de la psychanalyse, mais ne réussit pas à désenclaver ses études cliniques d’une médicalisation qui ne déchiffre l’imperfection du contrôle réflexe qu’en termes « neuropathiques ». Un point d’acquis : plus question d’impliquer la masturbation, mais en contre partie, affirmer que « la libido est réduite par un orgasme rapide, parce que les entraves psychiques exigent le rapide dénouement du conflit entre désir et conscience » renforce l’hypothèse des psychanalystes.

A la veille du 6 mai 1933 donc, les deux axiomes fondateurs de la sexologie contemporaine sont posés : dépénaliser la jouissance en normalisant le bonheur du couple, et dépsychiatriser la prise en charge thérapeutique. Sinistrée pendant plus de trente ans après l’attentat nazi perpétré contre l’Institut de Sexologie de Berlin, l’Europe redécouvre la Sexologie en 1966 avec les travaux de William Masters. Face à la recherche de l’étiopathogénie de « l’incontinence spasmodique de l’éjaculation », la sexologie reste prisonnière de ces empreintes, hantée par la tutelle psychothérapeutique, et mise cependant au défi de se placer en osmose des courants d’opinion qui prônent la liberté des moeurs et l’individualisme. Contradiction troublante : l’éjaculation prématurée est à la fois considérée comme une injure à un idéal érotique auquel chacun peut aspirer, et comme symptôme d’une dysfonction sexuelle. De quoi s’agit-il ? De liberté de choix de vie intime, ou de litige factieux d’individus malades de jouir sans contrainte ? Conseiller ou guérir ? Les menaces d’une approche normative étaient déjà annoncées par les auteurs allemands.

L’approche phylogénétique

L’éjaculation est associée à une récompense émotionnelle chez tous les Primates. Les premières observations de singes en milieu naturel (Hamilton, 1914 ; Carpentier, 1940) débouchent sur le repérage indéniable de signaux posturaux stéréotypés accompagnant l’éjaculation et inspirant à de nombreux auteurs l’hypothèse d’une réponse d’ordre « orgastique » à la stimulation coïtale. La seule différence entre les individus d’espèces éloignées, et notamment pour l’homme, serait d’ordre qualitatif. Les divers paramètres psychosomatiques qui bâtissent la sexualité au sein de l’ordre des Primates sont donc comparables ; mais, faute d’étalon de mesure des gratifications subjectives de l’orgasme, c’est l’étude de l’éjaculation du seul point de vue génito-urinaire qui est privilégiée. Or, deux autres approches s’ajoutent à l’arsenal théorique en sexologie : l’éthologie et la paléontologie. La perspective phylogénétique qui les réunit dans un même ensemble d’hypothèses est tout particulièrement fertile en ce qui concerne la fonction génitale dont les différents paramètres, obéissent à un héritage biologique commun à tous les Primates. Chez l’homme moderne, les automatismes impliqués dans le déclenchement de l’éjaculation ne peuvent pas être interprétés complètement sans qu’il soit fait état de ce patrimoine héréditaire, toute la question étant de savoir mesurer ce qu’il y a d’humain – ou mieux encore « d’humainement possible » – dans l’écriture de la fonction érotique de l’adulte.

Quel enseignement va-t-on tirer de l’observation du comportement éjaculatoire des Primates non hominiens ? D’une manière générale, que l’éjaculation survient en moins de 10 secondes du coït chez toutes les espèces étudiées. L’extrême brièveté de la copulation est inscrite, pour ainsi dire, dans l’organisation écologique, sociale et biologique des Mammifères supérieurs. En effet, il n’est pas impossible de penser que la durée des montes représente, pour ces espèces, une séquence comportementale écourtée à cause de la plus grande vulnérabilité à laquelle elles exposent les individus face aux prédateurs ; du point de vue social on a su très tôt reconnaître la fonction hiérarchisante des postures et des copulations, en particulier chez les singes ; on peut enfin émettre l’idée que la structure exclusivement vasculaire du pénis humain, (par opposition à la présence d’un os pénien chez le Gorille par exemple) soit adaptée à des copulations répétées et de courte durée…

Sans céder à un zoomorphisme excessif, il faut bien tenir compte de la présence dans l’équipement instinctif humain d’un patrimoine commun aux espèces qui nous sont biologiquement si proches. Plus précisément, j’avance l’hypothèse que l’homme contemporain (Homo sapiens) appartient pour ce qui est de son comportement éjaculatoire, au groupe des Primates à « éjaculation immédiate ». Du point de vue phylogénétique donc, l’homme est plus proche des Macaques Bonnet que des Rhésus en ce qui concerne ses pratiques copulatoires. L.A. Rosenblum a bien montré en effet que les singes Bonnet éjaculaient dès la première monte, alors qu’il pouvait s’en dérouler en moyenne une douzaine « pour rien » chez les Rhésus. Mais le paramètre le plus constant chez toutes les espèces étudiées est bien la durée extrêmement brève des copulations, suivies ou non éjaculation.

Les observations disponibles démontrent aussi que le nombre de mouvements intra vaginaux par seconde est tout à fait stable pour les différentes espèces de Primates étudiées puisqu’ils oscillent entre 2 et 5 à la seconde. Il est remarquable de noter aussi que le nombre total de mouvements de va-et-vient par copulation est également constant puisqu’il varie entre 15 et 25, que la monte aboutisse ou non à l’éjaculation. La durée de chaque coït n’excède donc jamais 10 secondes : la copulation représente une séquence comportementale inextensible, d’une extrême rapidité, eu égard à la somme d’excitations sensorielles qu’elle est destinée à produire pour déclencher l’éjaculation. Chez les individus appartenant aux espèces à éjaculation immédiate, la programmation comportementale met donc en équilibre, en moins de trente mouvements, la bouffée pulsionnelle et la desinhibition des réflexes éjaculatoires : tout se passe ici comme si la réceptivité sensorielle était à fleur de peau, étayée par une accélération de l’excitabilité des zones ad hoc du cerveau. A l’inverse, un singe Rhésus par exemple, manifestement moins excitable n’atteint pas le seuil de déclenchement de l’éjaculation en trente mouvements. Fait essentiel, l’inextensibilité de la durée moyenne de chaque monte ne lui offre pas la possibilité de prolonger la copulation jusqu’aux limites des quelques trois cents mouvements indispensables, mais l’oblige à multiplier les copulations – qui se succèdent en effet de façon assidue en l’espace d’une heure au plus – pour aboutir à ses fins.

En résumé, et sous réserve d’études ultérieures accroissant nos connaissances à propos de la sexualité des Primates – notamment des préhominiens : Chimpanzés et Gorilles surtout – l’étude quantitative des paramètres de la copulation débouche sur l’observation d’une unité comportementale, génétiquement stable, commune semble-t-il à la quasi-totalité des espèces selon Clellan Ford et Frank Beach, réduisant l’intromission à une séquence posturale et motrice d’une durée de moins de dix secondes. L’éjaculation ne modifie pas cette obligation à laquelle ne vont pouvoir se soustraire que les espèces capables d’une modulation de leur patrimoine génétique : l’histoire de la sexualité humaine débute ici.

Ontogenèse du comportement copulatoire masculin

La fonction érotique humaine telle qu’elle s’épanouit depuis 40 000 ans n’est donc détachée qu’en apparence du patrimoine commun aux primates et ne constitue qu’une « adaptation écologique » spécifique. Si un tel théorème se trouve vérifié dans les décennies à venir, on peut espérer mieux en comprendre l’organisation et les défaillances. En effet, l’émancipation créatrice qui préside à la naissance de l’Amour charnel n’étant pas un atavisme propre à l’espèce humaine, mais une variable aléatoire, ses mécanismes sont beaucoup plus accessibles à l’observation puisqu’ils ne relèvent alors que des processus d’apprentissage.

A l’évidence, l’acquisition de l’Art d’aimer obéit à des stéréotypes différents, disons, avec plus ou moins de créativité, en fonction de leur proximité du patrimoine instinctuel. En deux mots, l’apprentissage du langage est beaucoup plus laborieux que celui de la marche. Il faut considérer la maturité sexuelle masculine comme le terme d’une série d’acquisitions comportementales dont l’ultime échéance est représentée par la copulation. Le premier « rapport sexuel » représente une expérience cruciale pour le garçon, car l’intromission de la verge déclenche instantanément le programme gestuel instinctif, aboutissant ici aussi, comme chacun sait, à une série de 10 à 15 mouvements rapides de pulsions et retraits menant en quelques secondes à l’éjaculation.

Il est à mon sens capital de considérer cette première confrontation avec la filiation génétique comme une empreinte au sens éthologique du terme. L’expérience masturbatoire en effet ne débouche sur aucune facilitation du passage à l’acte copulatoire proprement dit. Comme chez l’animal, la pénétration vaginale suscite un ensemble complexe et inimitable de sensations et de représentations mentales, instaurant sur le champ une identification (reconnaissance) instinctive. On peut penser que le rôle si important que joue le succès des conduites copulatoires pour la survie de l’espèce, inscrive son apprentissage dans ces processus exceptionnels d’acquisitions immédiates et irréversibles, processus qui détiennent aussi chez l’animal la fixation des liens parentaux et le choix des partenaires sexuels, comme de nombreuses expériences l’ont montré à la suite de Konrad Lorentz (1935).

Pourquoi une telle hypothèse en ce qui concerne la sexualité masculine ?

C’est précisément la très grande fréquence des observations cliniques d’éjaculations prématurées qui a permis de mettre en relief l’existence d’une « phase critique d’apprentissage » chez l’homme : l’échec de toute maîtrise, toute une vie durant, de la susceptibilité des réflexes d’éjaculation dans le coït, remonte, dans tous les cas étudiés, au premier rapport sexuel. Les arguments d’ordre phylogénétiques évoqués plus haut renforcent l’idée qu’un dispositif inné permet à tout un chacun de réussir un minimum copulatoire la première fois, sans aucune expérience, ce « degré zéro » du savoir-faire sexuel étant le solde du patrimoine génétique : une copulation totalisant au plus une quinzaine de mouvements intra vaginaux.

Toute la question est de savoir comment 55 à 60 % des hommes réussissent, sous nos latitudes, à dépasser ce score, et pourquoi près d’un adulte sur deux n’y parviendra jamais.

L’opération qui consiste à produire un perfectionnement quelconque à partir du capital sensoriel et moteur d’un sujet, c’est le conditionnement. L’évasion – et non pas la maturation, terme qui pourrait laisser penser que le développement sexuel masculin est naturel et obligatoire – l’évasion de l’emprise draconienne de ces réflexes copulatoires instinctifs est possible, elle occupe toute une période d’émancipation de la culture érotique du jeune adulte, mais ce travail de perfectionnement est totalement tributaire bien sûr des lois biologiques qui gouvernent le conditionnement. A l’origine d’un apprentissage, il y a nécessairement des messages sensoriels, messages qui doivent cependant permettre d’atteindre un seuil minimum de perception : au-dessous de cette limite, les procédures de manipulation volontaire des enchaînements réflexes sont inopérantes. J’émets l’idée qu’en ce qui concerne l’éjaculation chez l’homme, un premier coït débouchant en moins de deux secondes sur l’orgasme, fait écran au repérage du seuil d’inévitabilité de l’éjaculation… et que ce rush émotionnel va se renforcer au fil des expériences. A l’inverse, si l’inauguration de l’activité coïtale permet de contenir l’excitation dans les limites supérieures (10 à 20 secondes) du programme génétique, le conditionnement va pouvoir s’appuyer sur une prise de conscience bien plus perspicace des paliers successifs qu’elle gravit dans le coït, première étape d’un conditionnement efficace.

Qui est « éjaculateur prématuré » ?

Les troubles chronologiques de l’éjaculation constituent un ensemble très hétérogène qui pose un problème de définition et de diagnostic. L’accent était mis de longue date sur les facteurs psychologiques et psychosociaux – aussi bien chez l’adolescent qui va « louper » l’inauguration de sa vie sexuelle, que chez l’adulte vaincu et inhibé – d’autres hypothèses, obsolètes aujourd’hui, s’appuyaient sur des notions improbables « d’hyper réflectivité » constitutionnelle (Vignoli, 1978, Colpi, 1986), ou encore « d’incontinence » éjaculatoire reprenant les observations étiopathogéniques d’énurétiques (Dolto, 1971, Waynberg, 1973). Et l’examen clinique ? Il est inévitable, à la recherche d’une « épine irritative » (phimosis, raccourcissement du frein, adhérences et inflammations préputiales, séquelles d’uréthrites postérieures…), sachant toutefois en relativiser le rôle : un simple agent déclencheur n’est pas à lui seul un facteur de passage à la chronicité d’une telle « dyslexie » coïtale…

Il faut bien conclure, classer, dénombrer, référencer, étiqueter.

Sans désaveu de l’expérience acquise et sans préjugé d’en établir une règle, je décris trois catégories de doléances :

  • L’éjaculation ultra prématurée, caractérisée par une durée du coït constamment inférieure à une dizaine de secondes ; le trouble est primaire, stable, spontanément invincible et représente l’endurance maximum de l’éjaculation naturelle, phylogénétique.
  • L’éjaculation prématurée, ne regroupant désormais que les situations dans lesquelles la durée moyenne du coït oscille dans une fourchette d’une dizaine de secondes à deux minutes, de façon permanente et prévisible ; la persévération de tels scores ne devient sexuellement pathogène que de façon facultative et circonstanciée, puisque l’approche démographique du prototype coïtal d’un individu de culture occidentale donne une ou deux minutes de durée moyenne « normale » de contrôle de l’éjaculation.
  • L’éjaculation instable, isolant désormais un ensemble très disparate de problèmes ayant en commun l’installation secondaire d’une dévalorisation subjective des qualités du rapport, de l’orgasme, voire même de la libido, et focalisant en première intention la plainte à propos d’une durée de coït totalement anarchique, pouvant retomber à quelques secondes de rétention, puis s’amender spontanément ; l’inclusion de telles situations conflictuelles dans la nosographie de l’éjaculation prématurée est sujet à polémique.

L’approbation du diagnostic une fois encore ne s’appuie que sur les dires des patients, et l’on a déjà fustigé les inconvénients de cette invisibilité des préjudices fonctionnels pour le choix des conduites à tenir. Il en va de même ici : l’étalonnage chronologique ne suffit pas à comprendre toutes les dimensions conscientes et inconscientes de la plainte. A la limite, ce qui fait question, c’est précisément la décision de consulter, l’énonciation de la plainte, les incitations, les exhortations à prendre ce problème en charge, que ce déficit de performance soit conforme ou non à une sémiologie rigoureuse. Bien sûr, des précisions d’horloger sont utiles pour fixer la gravité de l’incompétence – confronté à une autoévaluation souvent fantaisiste, il est préférable de préférer le « va-et-vient » comme unité de mesure de l’endurance plutôt que le chronomètre – mais c’est sur la question de l’orgasme qu’il convient d’exercer son sens clinique. Qui jouit ? Pour qui jouir ? Comment, pourquoi, faire jouir l’autre ? Somme toute, reconnaissons que ces coïts naufragés créent un contentieux qui n’est pas d’ordre « sportif », qu’aucune thérapeutique strictement comptable en durée d’apnée intra vaginale ne peut amender, la haine de l’éjaculation prématurée vient du mépris qu’inspire la verge flaccide !

Finalement, « l’éjaculateur prématuré » est un candidat superman recalé, un amant idéal en liste d’attente, un pur-sang réformé, un repris de justice conjugale en sursis, bref, un impuissant, à qui le savoir médical doit tenter de restaurer les attributs d’une virilité diffamée… Mais c’est à cet endroit précis que la déchéance symbolique des couples qui consultent ne doit pas être sous-estimée : la maîtrise du seuil d’inévitabilité de l’éjaculation ne suffit pas pour être heureux, car il faut aussi pallier les effets pervers d’un tabou auquel nul n’échappe et qui hypothèque de nombreuses entreprises curatives : le dégoût du sperme.

Docteur Jacques Waynberg

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