Un défi pour le médecin de famille
L’implication du corps médical confronté aux aléas de la vie privée des patients s’inscrit depuis une trentaine d’année en France au répertoire de ses nouvelles responsabilités de garant de la santé publique. Autrement dit, des pans entiers de vécu de personnes en bonne santé apparente viennent s’ajouter à la liste des motifs de consultation du médecin de proximité, parfois directement auprès de spécialiste en milieu hospitalier. Il est à peine besoin de rappeler que le déploiement de ces plaintes relevant désormais du registre de l’intimité fonde sa légitimité sur deux postulats : celui de qualité de vie comme faisant désormais partie d’un concept élargi de « santé » défini par les instances de l’OMS dès 1974, et celui de l’obligation de soins dès lors que l’industrie pharmaceutique met à la disposition du médecin depuis 1998 des moyens thérapeutiques spécifiquement destinés à leur prise en charge en pratique quotidienne.
Or, ce droit d’ingérence dans la vie sexuelle des patients ne peut être limité à la prise en charge des seules déficiences de la rigidité de la verge, ou des aveux d’anesthésie de la volupté…
L’admission du médecin traitant dans la sphère de la fonction érotique couvre un très vaste champ d’exercice qui ne peut être morcelé, depuis les aspects les plus normatifs de la sexualité jusqu’aux revers les plus hostiles de la conjugalité.
Si l’accompagnement des aberrations des conduites sexuelles les plus extrêmes relève du spécialiste, leur révélation est souvent suspectée ou dénoncée en consultation de ville. Championne de ces comportements répréhensibles la violence au sein du couple ne doit plus échapper à la vigilance des professionnels tant elle est à la fois fréquente et dramatique : l’Observatoire National de la Délinquance rapporte que 2,3% des femmes et 0,7% des hommes, âgés de 18 à 60 ans en seraient victimes, qu’il s’agisse de violences physiques (coups agressions, séquestrations…) ou psychologiques (insultes, chantage, humiliations, menaces…).
Si cette tragédie sociétale concerne les médecins, et non pas uniquement les services de police et les tribunaux, c’est parce que la majorité de ces persécutions intrafamiliales ne sont pas dénoncées, conférant aux praticiens une triple responsabilité, diagnostique, d’accompagnement et de prévention. A cet égard, l’appellation de médecin de famille remplit a priori pleinement sa vocation médico-sociale, mais avec néanmoins un double handicap à franchir : le premier concerne la carence de formation professionnelle initiale dans la prise en charge des questions de qualité de vie privée, le second est plus redoutable encore car les comportements mis en cause ici relèvent du secret le plus opaque, le plus affligeant…
Finalement, sans y être préparé, le médecin traitant occupe une position à risque dans le dispositif de signalement de ces situations criminogènes, mais aussi et surtout, lorsqu’il en soupçonne l’existence, un rôle de conseil auprès de patients dont il a su mériter les aveux. Ce premier maillon d’une chaîne décisionnaire complexe et brutale est irremplaçable pour que soit préservée la sécurité des victimes adultes, certes, mais aussi celle des enfants, trop souvent témoins d’une souffrance qui brise leur destinée.