Les rapports sexuels pénibles constituent des motifs de consultation plus fréquents qu’autrefois. L’«inconfort érotique» est lié à de nombreux facteurs organiques, mais également à des fautes de conduite qui doivent être diagnostiquées avec le même soin. L’importance remarquable de telles plaintes chez la femme ne doit pas masquer les nombreux cas masculins, car au bout du compte, ce sont entre 5 et 10 % des couples qui accusent une réelle déstabilisation relationnelle pour de tels motifs balistiques. Les conseils et la prescription d’un gel artificiel lubrifiant s’insèrent désormais dans la conduite à tenir face à de tels problèmes.
À quoi sert la lubrification ?
Le rapport sexuel est composé d’un assemblage de gestes, de postures, de mouvements, et d’un dialogue amoureux s’exprimant en termes de mimiques et de verbalisations conventionnelles… mais l’émotion est produite en fin de compte, aussi bien par l’intensité des transactions affectives, le travail de l’imaginaire, que par la somme des perceptions sensorielles échangées. Faut-il rappeler que de toutes les perceptions sollicitées et offertes, le toucher détient une part tout à fait primordiale ?
C’est sans doute par habitude (ou par pudeur) que l’on décrit aujourd’hui encore la fonction érogène de la lubrification en la limitant aux effets de la seule lubrification vaginale dans le coït. En réalité, son action sur les zones érogènes, aussi bien chez l’homme que chez la femme, facilite et rehausse deux catégories de pratiques érotiques : la caresse et la pénétration.
Chez l’homme, les stimulations tactiles de la verge tournent court, si les gestes ne sont pas secourus par l’application régulière d’un produit mouillant, afin de protéger la muqueuse contre une possible irritation… ou de produire un enrichissement indéniable des sensations. A vrai dire, ici, tout dépend de la «hauteur» du projet érotique, car il faut admettre que la sécrétion des glandes de Cooper (implantées de part et d’autre de la portion proximale bulbaire de l’urètre) qui accompagne habituellement toute séquence d’excitation sexuelle, peut suffire à humecter et protéger le gland si les manœuvres ne sont que passagères et peu appuyées. Ailleurs, le recours à la salive ou à un lubrifiant artificiel est non seulement une preuve de saine curiosité, mais une initiative nécessaire pour assurer aux caresses toute leur hospitalité.
Chez la femme, les secrétions génitales abondantes masquent bien sûr la sécheresse de la zone clitoridienne et bien que tenu secret le plus souvent l’échec de sa stimulation est très fréquemment lié ici aussi à l’irritation des muqueuses. Les caresses clitoridiennes exposent la femme à un risque accru d’inconfort du fait même que l’expérience orgastique fasse parfois défaut : l’anorgasmie habituelle et invincible condamne la femme à accueillir de telles sensations sans grande émotion voire, comme chacun sait, sur un mode incontestablement algique. La maturité et l’expérience enseignent aux partenaires un savoir faire minimum leur inspirant plus de prudence et de «tact», mais ici encore, l’action bénéfique d’une lubrification artificielle se justifie et s’explique.
Le coït naturellement, représente le moment privilégié pour s’inquiéter de la qualité et de l’abondance de la lubrification vaginale puisqu’à ce stade l’intromission ne doit rencontrer aucun obstacle et ne déclencher aucune gêne. S’il est aisé de lire partout comment cela fonctionne et à quel point ces mécanismes réflexes sont exposés à des défaillances plus ou moins définitives, les études concernant le couple dyspareunique ne sont pas légion. Or, la pratique clinique enseigne qu’en définitive : «n’est pas dyspareunique qui veut». Il y a des femmes sèches qui ne se plaignent pas, et celles qui trouvent d’elles-mêmes les moyens d’y remédier, quel que soit leur âge, à l’insuffisance de leurs secrétions naturelles. Il y a les partenaires qui s’en inquiètent, et ceux qui à l’inverse ne s’en soucient pas. Dans le coït, la lubrification vaginale joue ainsi non seulement un rôle mécanique, mais elle possède aussi disons une «fonction allégorique», témoin de l’histoire des partenaires et de l’espérance de vie du couple.
Une dyspareunie peut en cacher une autre
Les constats de «sécheresse vaginale» qui aboutissent aux diagnostics de Dyspareunie ne doivent donc pas enfermer l’entreprise médicale dans la seule cure symptomatique des facteurs étiologiques en question, mais couvrir également les secteurs plus vastes de l’information sexuelle, du conseil conjugal, de l’éducation érotique. Les difficultés d’une telle prise en charge ne tiennent pas à l’impréparation sexologique des thérapeutes –souvent évoquée par des praticiens trop modestes- mais aux réticences des intéressés eux-mêmes sans honte de ce type de demande d’aide.
Chez l’homme, la dyspareunie présente la particularité d’être peu soumise à des exacerbations psychogènes –les somatisations se manifestant plutôt sous le masque d’une dyséjaculation ou de troubles de l’érection- et de diagnostic clinique généralement aisé. En somme, les manœuvres de stimulations du gland, la verge en érection, exposent le sujet à des désagréments insupportables dans un petit nombre de cas de figure : difficultés anatomiques empêchant le coulissage du prépuce, dont les phimosis et les raccourcissements du frein dont les prétextes les plus fréquents, mais de toute manière, toute érosion ou ulcération, facilement découvertes à l’examen. Il reste à ne pas faire l’impasse sur les rituels érotiques du couple, afin de découvrir la persistance de pratiques masturbatoires intempestives ou inadaptées, avant d’incriminer la sécheresse vaginale de la partenaire comme facteur étiologique principal. Il faut bien avouer cependant que les hommes consultent très rarement pour de telles nuisances et que la perspicacité du praticien est souvent seule en mesure de mettre à jour la responsabilité de telles sensations négatives à l’origine d’une mésentente conjugale. Est-ce assez démontrer l’utilité de sortir de sentiers battus et de ne pas hésiter à proposer l’usage d’une lubrification artificielle à de tels patients ?
Chez la femme, on l’a vu, il est nécessaire d’étendre le champ des dyspareunies aux stimulations clitoridiennes douloureuses, sachant que si l’organicité doit être recherchée avec soin, il reste que la dimension psychosomatique interpelle en permanence la femme elle-même, le partenaire… et le praticien.
Les circonstances de la consultation sont multiples, mais appartiennent à deux catégories de faits :
- La dyspareunie entre dans le cadre d’une pathologie déjà identifiée et en cours de traitement, qu’elle soit gynécologique ou digestive, urinaire, ostéoarticulaire.
- La dyspareunie est apparemment isolée, et alimente seule la plainte de la patiente : douleur datant déjà du tout premier rapport, ou d’installation secondaire, mais étroitement liée à sa biographie.
C’est l’intolérabilité de la douleur qui constitue le motif commun de la plainte ; exacerbation du symptôme qui peut, soit apparaître après une certaine phase de latence, soit laisser un espace libre entre des périodes plus pénibles, soit recouvrir sans rémission toutes les expériences sexuelles… en réalité, l’évaluation subjective du seuil de tolérance ne tient pas vraiment compte de l’importance et de la curabilité des lésions organiques chez la femme, ce sont surtout des considérations symboliques (séquelles post-opératoires invalidantes, inesthétiques…) et affectives (qualité de la relation affective, compréhension du partenaire…) qui influencent son appréciation.
Lorsque cette souffrance n’est pas d’installation «primaire» -cas moins fréquent parce qu’évoluant très rapidement vers le vaginisme– ce qui est remarquable, c’est que cette douleur ne soit pas «en soi» une dysfonction, elle n’est qu’un symptôme de transition, une voie de passage entre l’eupareunie et l’anorgasmie secondaire, la mésentente conjugale, le vaginisme. Quand les rapports sexuels deviennent plus pénibles que gratifiants, la dyspareunie n’évolue pas isolément, elle se complique immédiatement de réactions de défense (refus, agressivité, inhibition sensorielle) et d’évitement, qui sont autant de facteurs déclenchants d’une dysfonction plus invalidante encore.
Les somatisations névrotiques empruntent le même itinéraire, et la douleur cette fois sans substratum anatomo-clinique plausible, fait office, de la même manière, de transition entre une sexualité peut enthousiasmante et la possibilité légitime de s’y refuser…
Prescrire et conseiller
Si l’indication d’un lubrifiant industriel est un geste banalisé par le gynécologue ou le praticien auxquels s’adressent un couple ou une patiente, on devine aisément que la prescription ne peut clore la prise en charge. Mis à part les embûches que l’on peut rencontrer donc dans la découverte et le traitement des affections organiques en cause, semble-t-il, deux catégories d’obstacles entravent la bonne marche des secours attendus : les imperfections méconnues ou incurables de la compétence érotique d’un ou des partenaires, et, comment ne pas conclure sur ce point, les qualités et les limites des produits conseillés.
A propos de l’érotisme, point de salut en quatrième vitesse, car l’opacité des ritualisations d’un couple s’oppose à l’efficacité des phrases de bon aloi que l’on échange au terme d’une consultation. Aborder la question de l’enrichissement sensoriel, dans le prolongement de la cure d’une dyspareunie n’est pas un exercice facile, et du reste, une dimension nouvelle que peu de couples nous autorisent à évoquer.
En ce qui concerne les produits, au contraire, les utilisateurs font preuve d’exigences dont il faut tenir compte, ou de préjugés qu’il faut décourager. Ce n’est pas seulement en effet, le «pouvoir mouillant» qui réconforte et réconcilie, mais la couleur, la consistance, l’odeur… et la présentation d’un lubrifiant. Sans saveur et hydrosoluble, tel apparaît le produit «idéal», mais que rétorquer à ces patientes qui ne jurent que par la vaseline ? Affaire de goût personnel, certes, l’important n’étant pas pour le couple d’accepter docilement un conseil ou une ordonnance, mais de s’en servir pour gagner son droit au bonheur.