Amour & Famille

Aimer, Érotisme

De l’harmonie sexuelle à l’amour charnel : éloge de la continence

La mondialisation des modèles de comportements intimes produit la fiction du bonheur facile et sans contraintes. Cette indiscipline factice est démoralisante. A l’aulne d’un besoin d’absolu de plus en plus vital, la sexualité doit servir d’emblème à l’ennoblissement de soi.


La liberté sexuelle est un fantasme. La croyance que notre société occidentale offre des joies charnelles inédites est imbécile. En revanche, l’américanisation des codes de bonne conduite à l’échelle du monde est bien réelle, mais c’est un libéralisme de propagande, un attrape-nigaud, une atteinte inacceptable à la diversité des cultures et de l’intelligence humaine. Désormais, il importe de signaler que l’amour, le couple, le plaisir, ne sont pas seulement les otages de la maladie ou de l’ignorance, mais d’une forme tout particulièrement hégémonique de capitalisme anglo-saxon. L’histoire des civilisations il est vrai, est un éternel recommencement : la conquête des pouvoirs totalitaires n’est jamais achevée tant que la sexualité des vaincus n’est pas placée sous tutelle, censurée, formatée aux normes de l’occupant. Pour ce qui nous concerne en France aujourd’hui, la « modernité » a un coût bien plus élevé que prévu dans le devis de la révolution culturelle des années 1960-1980. Individualisme, confort technologique et allongement de l’espérance de vie notamment, ont pour effets collatéraux de bouleverser les rapports au corps, au social, au spirituel, avec en toile de fonds les mutations de la famille et de la filiation que l’on sait.

Jacques Casanova ou Clint Eastwood ?

La normalisation actuelle des repères éthiques produit une représentation bipolaire de la vie privée : d’un côté une trame narrative de fictions libertaires, de l’autre, l’instigation à un travail contre nature de réajustements pulsionnels, inlassablement recommencé… En poussant la caricature à l’extrême je dirais que les « maisons communes » qui nous hébergent sont bâties sur deux modèles principaux d’architecture morale et politique : la maison de poupée ou le château hanté. Dans le premier lotissement, la médiatisation incessante des exemples de comportements intimes qui abolissent les contraintes sociales au profit d’une dynamique exclusivement épicurienne entraîne le téléspectateur dans l’impasse de projets idylliques mais inaccessibles. L’utopie du bonheur facile et librement consenti, égalitaire entre les hommes et les femmes, est faussement présentée comme un droit accessible à tous, sur simple demande, défiant les leçons des générations précédentes, et où la seule responsabilité qui vaille est celle du devoir de réussite. La performance sexuelle est donc l’emblème des affinités complexes qui lient les individus entre eux et les conforte dans un projet d’épanouissement personnel sans foi ni loi. Cette érosion des valeurs traditionnelles est rendue possible grâce au matraquage démagogique d’une propagande made in USA où transitent les représentations austères de la masculinité, de la féminité, de l’idéal conjugal, du racisme, de l’exclusion des minorités sexuelles et de l’eugénisme. A chacun son lot de tabous et de totems : le libertinage méditerranéen est un humanisme, que le puritanisme atlantique est cependant en passe de transfigurer en fiction de série B. Car en réalité, cet idéal romanesque n’est plus concevable. Depuis le début des années 1980, depuis l’émergence de la pandémie du sida et la restauration du pouvoir conservateur aux Etats-Unis, la ségrégation sexuelle est de rigueur et l’imagination mise à dure épreuve puisqu’elle est appelée à compenser les carences du vécu. Quant au second « lotissement », il nous fait passer sans transition dans l’univers symétrique du précédent, où l’épuration des faiblesses de la chair tient lieu de grammaire de la vie conjugale. Ici aussi l’éducation populaire emprunte les multiples canaux audiovisuels qui supplantent aujourd’hui le geste éducatif et la parole pour illustrer une armature figée du rapport au désir, un zèle dévot contre nature pour refouler l’incarnation de l’amour. Le portrait-robot de ces acteurs de mélodrames qui se dérobent à la difficulté de donner du sens à leur existence en se privant de l’envie de jouir, déconcerte tout autant que celui de ceux qui ironisent sur l’avenir de la morale chrétienne. Comment sortir indemne de telles contradictions ? Comment parvenir à se dédoubler dans la vie quotidienne au point d’être tout à la fois bon public, électeur docile, consommateur insatiable, tout en sauvegardant son esprit critique et ses facultés d’émotion face aux choses simples de l’attachement et de la tendresse ?

Le couple est une entreprise sexuellement transmissible

En réduisant l’estimation de la destinée des relations conjugales au comportement sexuel, libertins et puritains font jeu égal : faire comme si les choses n’étaient pas ce qu’elles sont, comme si les entraves économiques, les déficiences intellectuelles, les pressions familiales, les leçons morales mal assimilées, n’étaient pas les vrais obstacles à vaincre pour vivre heureux. La ville, quant à elle, surpeuplée et harassante, développe un climat d’incertitude et d’insécurité affectives bien plus subversif que la tolérance hypocrite de la pornographie ou à l’opposé le sacrifice ritualisé du désir. Les couples sont en effet laissés à l’abandon, obligés de réparer les contresens angoissants, qu’ils doivent gérer au jour le jour, entre ce qui leur est promis et ce qui est humainement possible. Car l’Etat moderne ne fait pas de cadeau. La liberté de penser sa sexualité en totale impunité est inaccessible pour la majorité des travailleurs… faute de temps, faute de moyens, faute de culture érotique, souvent faute de partenaire, faute d’expérience, faute de talent…

Dans ces conditions de grande instabilité des concepts et des modes de vie, comment grandir, comment assurer l’avenir de l’amour, stabilisé par un sacrement et/ou un engagement civil ? La tentation à la mode, c’est d’en vouloir à mort à son corps sexué, d’interpréter ses échecs et ses défauts en termes de sabotage physiologique, de lâcheté des organes : c’est l’âge d’or des guérisseurs ! La médecine s’est compromise dans le système des soins intensifs de l’impuissance et de la frigidité ; l’industrie pharmaceutique a acheté son silence face aux questions dérangeantes du désir et de l’exclusion, du dégoût et de l’oubli. Le bonheur sous ordonnance est un leurre. Les corps font ce qu’ils peuvent pour se rendre utiles au désir, mais ce n’est pas grand’ chose, même sous l’empire de la passion. Sans la discipline de l’art érotique, sans l’initiation à la modération, sans les vertus de l’équilibre entre l’offre et la demande, la communication érogène entre les êtres qui s’aiment n’outrepasse pas la parade nuptiale d’un mammifère. Embellir l’acte le plus suspecté de subversion spirituelle n’est pas aisé. Le chaos actuel tient en partie à une erreur d’interprétation du concept de liberté individuelle : entre une volupté consommée comme une marchandise, et l’extinction arbitraire des feux de l’amour, doit pouvoir s’inscrire un projet de valorisation de soi dans le respect d’autrui par une pratique intelligente de la continence, qui devient à la sexualité ce que le chant est à la voix, le raffinement à l’appétit, une quête approximative de ce qu’il peut y avoir d’humain à découvrir en soi.

Docteur Jacques Waynberg

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