L’Illusion pornographique

Enfers, Pornographie

L’Europe de l’après-guerre a découvert la pornographie avec inquiétude parce que le succès des pornocrates a pris l’allure d’une véritable « subversion », l’État lui a opposé rapidement un coup d’arrêt en instituant tant bien que mal une censure rigoureuse et générale. Le péril est-il aussi menaçant ? Ecrasé sous le joug réglementaire l’outrage à la pudeur est bien mièvre, et cette « pornographie de supermarché » est plutôt vulgaire que vulgarisée ; on ne peut donc pas juger sur pièces. En revanche, force est de constater que la consommation ne cède pas beaucoup de terrain, même pour des « œuvres » aussi appauvries, et c’est cette consommation qui a un sens, un non-sens.

Si la pornographie est à première vue un défi à l’amour et en particulier une menace pour l’érotisme et les femmes, elle est surtout un symptôme, un signe de défense de l’individu face à ses propres inhibitions et à l’ambiguïté du contrôle social des pulsions impudiques.

Une menace, en effet, car elle propose le spectacle d’une misère sexuelle sans âme, stérile et obscène, renforçant de façon brutale tout ce qui habite la mémoire et l’imagination des hommes quand il s’agit de conquérir le pouvoir sur le plaisir. Cela dit, il ne faut pas s’y tromper, la pornographie — pas plus que la prostitution dont elle est directement issue — ne peut céder aux seules pressions moralisatrices des institutions, car elle répond à des besoins discordants qui croisent le désir de jouissance, lorsqu’il est inassouvi.

La virilité est-elle véritablement en berne ? Contesté, désorienté, issu d’une classe moyenne affaiblie, l’individu standard est inquiet de n’être pas toujours en mesure de répondre à la demande désormais explicite des femmes. Le recours à des subterfuges pour apaiser un agacement narcissique bien naturel est ainsi un palliatif momentanément sécurisant. S’affirmer en tant qu’homme et vivre en somme « par personne interposée » un récit érotique enjolivé, et surtout, à moindre frais. Est-il permis de faire un rapprochement indélicat avec les « sportifs » paresseusement installés devant leur poste de télévision ? Quelle joie de partager l’effort physique d’autrui, de s’associer à son succès… La fonction pornographique se trouve finalement labellisée en termes économiques : épargne d’enjeux relationnels, investissements affectifs restreints, efforts physiques abrégés, gain de temps…

Il y a donc contre-sens quand on désigne la pornographe comme une manifestation caricaturale et sporadique de la misère sexuelle de quelques déshérités : le 21ème siècle va s’ouvrir massivement sur la consommation d’une sexualité en kit, une sexualité prête à l’emploi, une sexualité, pour tout dire, de déficients érotiques. Peu importe le média technique requis pour mettre en scène la fiction, le but convoité est de parvenir à en jouir.

Ainsi, la pornographie n’est pas l’érotisme du pauvre, elle est l’érotisme de l’anxieux. Pour être tout à fait précis — et mettre un terme à d’inutiles controverses quant aux rapports entre pornographie et les questions de genre — il faut insister sur le fait que l’illusion pornographique n’est conçue et réalisée que pour les hommes, même si les femmes savent en apprécier aussi l’effet stimulant érogène. Le processus graphique ou rédactionnel qui assouvi le besoin sexuel s’appuie sur le rapport qui s’établit, à l’insu du consommateur masculin, entre les messages obscènes et le complexe de castration. Il s’agit d’un mécanisme mental inconscient et universel : le spectacle réel ou imaginaire de la béance féminine crée simultanément une pulsion désirante et l’épouvante de craindre son inaptitude à la combler. C’est ce défi, ce goût d’un risque imaginaire, toujours frustrant, qui est responsable de l’addiction à une pornographie populaire, bas de gamme, de consommation routinière, aliénante…

L’Europe de l’après-guerre a découvert la pornographie avec inquiétude parce que le succès des pornocrates a pris l’allure d’une véritable « subversion », l’État lui a opposé rapidement un coup d’arrêt en instituant tant bien que mal une censure rigoureuse et générale. Le péril est-il aussi menaçant ? Ecrasé sous le joug réglementaire l’outrage à la pudeur est bien mièvre, et cette « pornographie de supermarché » est plutôt vulgaire que vulgarisée ; on ne peut donc pas juger sur pièces. En revanche, force est de constater que la consommation ne cède pas beaucoup de terrain, même pour des « œuvres » aussi appauvries, et c’est cette consommation qui a un sens, un non-sens.

Si la pornographie est à première vue un défi à l’amour et en particulier une menace pour l’érotisme et les femmes, elle est surtout un symptôme, un signe de défense de l’individu face à ses propres inhibitions et à l’ambiguïté du contrôle social des pulsions impudiques.

Une menace, en effet, car elle propose le spectacle d’une misère sexuelle sans âme, stérile et obscène, renforçant de façon brutale tout ce qui habite la mémoire et l’imagination des hommes quand il s’agit de conquérir le pouvoir sur le plaisir. Cela dit, il ne faut pas s’y tromper, la pornographie — pas plus que la prostitution dont elle est directement issue — ne peut céder aux seules pressions moralisatrices des institutions, car elle répond à des besoins discordants qui croisent le désir de jouissance, lorsqu’il est inassouvi.

La virilité est-elle véritablement en berne ? Contesté, désorienté, issu d’une classe moyenne affaiblie, l’individu standard est inquiet de n’être pas toujours en mesure de répondre à la demande désormais explicite des femmes. Le recours à des subterfuges pour apaiser un agacement narcissique bien naturel est ainsi un palliatif momentanément sécurisant. S’affirmer en tant qu’homme et vivre en somme « par personne interposée » un récit érotique enjolivé, et surtout, à moindre frais. Est-il permis de faire un rapprochement indélicat avec les « sportifs » paresseusement installés devant leur poste de télévision ? Quelle joie de partager l’effort physique d’autrui, de s’associer à son succès… La fonction pornographique se trouve finalement labellisée en termes économiques : épargne d’enjeux relationnels, investissements affectifs restreints, efforts physiques abrégés, gain de temps…

Il y a donc contre-sens quand on désigne la pornographe comme une manifestation caricaturale et sporadique de la misère sexuelle de quelques déshérités : le 21ème siècle va s’ouvrir massivement sur la consommation d’une sexualité en kit, une sexualité prête à l’emploi, une sexualité, pour tout dire, de déficients érotiques. Peu importe le média technique requis pour mettre en scène la fiction, le but convoité est de parvenir à en jouir.

Ainsi, la pornographie n’est pas l’érotisme du pauvre, elle est l’érotisme de l’anxieux. Pour être tout à fait précis — et mettre un terme à d’inutiles controverses quant aux rapports entre pornographie et les questions de genre — il faut insister sur le fait que l’illusion pornographique n’est conçue et réalisée que pour les hommes, même si les femmes savent en apprécier aussi l’effet stimulant érogène. Le processus graphique ou rédactionnel qui assouvi le besoin sexuel s’appuie sur le rapport qui s’établit, à l’insu du consommateur masculin, entre les messages obscènes et le complexe de castration. Il s’agit d’un mécanisme mental inconscient et universel : le spectacle réel ou imaginaire de la béance féminine crée simultanément une pulsion désirante et l’épouvante de craindre son inaptitude à la combler. C’est ce défi, ce goût d’un risque imaginaire, toujours frustrant, qui est responsable de l’addiction à une pornographie populaire, bas de gamme, de consommation routinière, aliénante…

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