La perte affective est aussi difficile à conjurer qu'une disparition, qu'un décès sans cadavre, c'est-à-dire une mort impossible à célébrer. Autrement dit, ce qui rend si difficile la sortie du chaos sentimental créé par une désunion, c'est l'absence de "rite funéraire", de cérémonial qui définisse le moment de la séparation, qui inscrive le mot "fin" dans la mémoire de chacun, sans violence et sans colère…
Etrange histoire que l'invention du paradis pour les amants qui se découvrent et de l'enfer pour ceux qui se quittent. La mort de l'amour est un sacrifice sans décor, sans costume, insupportable. Au commencement pourtant le scénario est composé de mille démonstrations réciproques de convoitise et d'attachement, à partir de la même trame autour des thèmes du don, de l'échange, du partage... Fêter la Saint-Valentin est emblématique de cette planification des rituels sentimentaux.
A l'opposé, au moment de l'abandon, les traditions s'effacent, créant un vide dans le contrôle des comportements individuels. Cette pénurie de protocoles qui pourraient organiser la rupture du contrat amoureux de manière "responsable", ouvre la voie aux manifestations les plus improbables de haine, de jalousie, de chantage : on détruit les souvenirs, on déchire les lettres, on se venge d'avoir trop aimé, un pillage désespéré…
Mais tous les couples ne s'exposent pas ainsi à d'interminables règlements de compte, les plus en danger sont ceux qui se sont installés hors-convention, soi-disant "librement", comparés aux couples mariés (pacsés aujourd'hui). Osons la formule assassine : le divorce est à l'amour ce que la naissance est à la vie, avant tout une date, un lieu, un rituel, un spectacle, des témoins. Finalement le divorce ne serait-il pas une saine institution permettant de se séparer le moins cruellement possible ? Fêtons-le le 21 décembre, jour du solstice d'hiver, lorsque la nuit la plus longue de l'année s'ouvre enfin vers des journées de plus en plus proches d'un nouveau printemps.